Il y a peu, j’ai reçu en séance un monsieur qui était handicapé moteur, handicapé mental, malvoyant et sourd.
C’était sa femme qui avait pris rendez-vous pour lui, par mail. Elle avait précisé que son mari était handicapé et qu’il voulait travailler sur diverses problématiques, dont la confiance en lui (« il a perdu confiance en lui lors d’une chute il y a quelques années » m’avait-elle écrit, sobrement).
Je m’attendais donc à recevoir quelqu’un en béquilles ou en fauteuil roulant, handicapé de naissance ou qui l’était devenu suite à un AVC, quelque chose comme cela, mais en tout cas parfaitement capable de communiquer… pas à quelqu’un accumulant une telle collection de symptômes (suite à une encéphalite violente durant l’enfance) et pour qui la communication directe était impossible !
J’ai honte à le dire, mais si j’avais su que ce monsieur n’avait que sept pour cent de son audition et qu’il ne parlait que par onomatopées et par quelques rares mots rescapés, j’aurais sans doute refusé le rendez-vous. J’aurais dit à cette dame que je n’avais pas les compétences pour aider son mari.
Et cela aurait été très dommage, car cela m’aurait empêché de découvrir que, si !, je les avais, ces compétences.
Et cela m’aurait privé de trois séances extraordinaires.
Extraordinaires, car elles m’ont mis en « difficulté » (ou « situation de défi », je préfère) : j’ai dû revoir entièrement ma façon de mener une séance, j’ai dû improviser, expérimenter et construire quelque chose de nouveau, du sur-mesure, du vrai, pour ce monsieur.
Si je n’avais pas connaissance des capacités extraordinaire de l’inconscient, j’aurais sans doute paniqué ; j’aurais peut-être dit « désolé, je n’avais pas conscience de l’ampleur du problème, je ne peux rien pour votre mari, au-revoir ! », ce qui n’aurait vraiment pas été thérapeutique de ma part…
La seule question que je me suis posée, quand ce monsieur est entré dans mon cabinet avec sa femme, a été la suivante : « Ok, comment je fais ? » et, sous-entendu : « Inconscient, mon vieil ami, trouve en moi les ressources pour aider cette personne du mieux que je le peux ».
Et il les a trouvées, les ressources. Je me suis souvenu de mes lectures sur les mesmérisme des origines, avec les fameuses « passes magnétiques » sans suggestion orale, des descriptions des zones hypnogènes dans les manuels d’hypnotisme du XIXe siècle, des anecdotes sur Milton Erickson parvenant à hypnotiser quelqu’un qui ne parlait pas sa langue, de mes astuces d’hypnose de spectacles que j’utilisais dans le passé, de mes discussions avec Cécile Mérigard sur les techniques de magnétisme qu’elle utilise dans sa pratique, etc., et, le tout, en une fraction de seconde.
Je me suis synchronisé à fond sur mon client, jusqu’à ce que nos battements de cils se fassent à l’unisson, j’ai pris sa posture, sa respiration, essayé de ressentir son corps, d’en comprendre spontanément le fonctionnement, de capter ce qui bloquait, et, au contraire, de déceler ce qui pouvait fonctionner et servir la séance.
Placé très près de lui, je l’ai regardé droit dans les yeux, intensément, pendant un certain moment (technique d’hypnose de spectacle : on pénètre la bulle d’intimité de la personne pour l’inciter à se replier en elle-même) ; puis, lorsque j’ai vu les premiers signes de malaise/fatigue, je lui ai demandé de fixer la main que je venais de lever et j’ai abaissé celle-ci d’un mouvement extrêmement lent et semi-circulaire. Cela a suffi à créer une induction puissante.
J’ai mimé les émotions, et j’ai touché (ce que je ne fais jamais, habituellement) les différentes parties du corps de mon client pour les localiser (avec son accord et son assistance, of course) ; il m’a fait comprendre que je me trompais, à un moment : non, la tristesse n’était pas dans le cœur, elle était localisée, précisément, au niveau du plexus solaire. J’ai pris ses mains et les ai posées à cet endroit, je l’ai fixé avec un regard triste, il s’est mis à pleurer. Puis, j’ai écarté très lentement ses mains, lui faisant comprendre que sa tristesse venait se placer là, entre-celle-ci, et qu’elles faisaient office de grosses ventouses qui venaient l’aspirer hors de son corps. J’ai lentement écarté les mains du corps en respirant avec des inspirations de plus en plus grandes, comme si mes poumons se libéraient d’un poids. Puisqu’il était synchronisé sur moi, il a fait de même. Son corps s’est redressé. Je lui ai fait jeter la tristesse au loin et nous l’avons regardé partir. Il lui a même fait « au-revoir » de la main.
Puis, je l’ai regardé et j’ai souri, puis rigolé aux éclats. Il a rigolé à son tour, et nous avons été pris d’un fou-rire hypnotique pendant plusieurs minutes. Pendant que nous rigolions, mes mains allaient de ma bouche au plexus solaire, comme si je prenais les bonnes ondes de mes rires et que je venais les placer dans le vide laissé par le départ de la tristesse. Il m’a imité et, ce faisant, tout son corps s’est peu à peu détendu et ouvert.
Et ainsi de suite. J’ai utilisé d’autres techniques semblables pour écarter certains mauvais souvenirs, j’ai fait couper, avec des ciseaux invisibles, un lien néfaste avec une personnes toxique qui avait laissé des séquelles chez mon client, ai joué à une ronde des émotions en utilisant des statuettes de mon cabinet, etc.
Lors du troisième rendez-vous, mon client m’a tendu un petit papier, avec écrit dessus « Je marche mieux, j’ai moins de douleurs, j’ai plus confiance en moi, et j’entends mieux. Merci. ».
Bon, d’après sa femme, l’amélioration de l’audition de son mari viendrait, en réalité, de son dernier rendez-vous chez l’orthophoniste… étonnant quand même : la seule avancée significative à ce sujet, depuis plus de dix ans, a eu lieu en même temps que les séances d’hypnose. Mais nous connaissons bien ce genre de refrain…
Cette histoire, je ne vous la raconte pas faire joli ou pour me jeter des fleurs, mais pour vous rappeler un point essentiel : nous avons beaucoup plus de compétences que nous ne le soupçonnons. Ne vous dites jamais « je ne peux pas faire ça », « je n’ai pas les compétences pour », « je n’ai pas suffisamment de talent », « je n’ai pas les bonnes conditions pour » ou autre sentence limitante et stupide, mais dites-vous « Ok, comment je fais ? ». Et votre inconscient trouvera, en vous, les ressources pour le faire.
Comme vous l’avez compris, les vieux singes d’hypnothérapeutes, eux aussi, en viennent parfois à oublier cette vérité. Nous avons tôt fait de nous enliser dans une routine et un confort, reproduisant des séances d’hypnose trop similaires les unes des autres, avec nos petits rituels bien élaborés pour nous rassurer (musique de fond, ambiance tamisée, fauteuil moelleux, thé chaud ou autre). C’est une chose nécessaire, à mon sens, et je ne critique absolument pas ; mais je vous recommande, en plus de cette pratique routinière, de toujours rester ouvert à d’autres formes d’hypnose, d’aller vers elles volontairement, d’expérimenter, d’improviser, de laisser votre inconscient vous surprendre et vous épater.
Car c’est seulement ainsi que vous découvrirez vos compétences insoupçonnées.