Aperçu historique de l’hypnose

La pratique de l’hypnose existe depuis que l’Homme est Homme. Mais pendant longtemps, elle est restée l’apanage de deux domaines d’activité : la religion et la magie.

Les prêtres et prophètes de nombreuses civilisations se sont servi de l’hypnose pour obtenir des guérisons spectaculaires chez leurs fidèles, leur faire entendre la voix des dieux, accomplir des miracles, ou simplement accroître la ferveur des foules lors des offices religieux. De leurs côtés, les magiciens, chamanes, sorcières, à une échelle plus privée, s’en servaient pour les soins quotidiens de leurs clients, mais aussi parfois pour pratiquer une magie qualifiée de « noire », par l’usage de suggestion négatives et d’ancrages limitants.

            Il fallut attendre le XVIIIe siècle pour que les premiers chercheurs extirpassent l’hypnose des sphères magico-religieuse et commencent à l’étudier sous un angle plus scientifique. La théorie du « magnétisme animal », popularisée par Franz-Anton Mesmer, fut l’une des premières avancées dans ce sens. Elle était fondée sur l’idée que toute chose de l’univers était traversée par un fluide – semblable à de l’électricité – pouvant être concentré par la volonté et pouvant générer des transes hypnotiques. En « magnétisant » un objet (un arbre par exemple), l’objet lui-même acquérait la faculté de mettre la personne qui le touchait en état d’hypnose.

Mais cette théorie fut renversée par celle des « imaginationnistes » du XIXe siècle qui avaient remarqué que l’imagination du patient et les suggestions du praticien étaient les véritables outils permettant de produire la transe et, à travers elle, de guérir le patient. L’état d’hypnose fut alors perçu comme un sommeil somnambulique artificiel permettant d’accroître la suggestibilité de la personne hypnotisée.

            Au même moment, dans l’Empire britannique, les premières expérimentations d’hypno-analgésie dans un contexte chirurgical eurent lieu avec James Braid, chirurgien écossais, qui réfuta lui aussi la théorie du magnétisme animal et qui popularisa les noms d’« hypnotisme » et d’« hypnose » (du grec ancien ὕπνος, húpnos (« sommeil »)). Ces termes remplacèrent rapidement celui de « magnétisme animal ».

En parlant d’une des propriétés qui caractérisent l’hypnotisme, celle d’amortir les sensations morbides, je ne dois pas oublier de mentionner qu’il amoindrit ou qu’il prévient entièrement la douleur dans les opérations chirurgicales. Je suis certain que l’hypnotisme peut plonger le malade dans cet état qui le rend complètement inaccessible à la douleur d’une opération, ou qui la modère de beaucoup, selon le temps et la manière de procéder. C’est ainsi que, sous cette influence, j’ai extrait des dents à six malades, sans douleur, et à d’autres avec si peu de douleur, qu’ils ne savaient pas que leurs dents avaient été enlevées. Un médecin de mes amis, M. Gardom, opéra de même récemment, et fit l’extraction d’une dent, fermement implantée, sans que le malade accusât la moindre douleur pendant l’opération ; ce malade ignorait même, une fois réveillé, que sa dent avait disparu. M. Gardom enleva une seconde dent à la même personne, et une dent à une autre personne, toujours sans que ces malades eussent conscience de l’opération. Pour atteindre ce but, cependant, je crois que, dans la plupart des cas, il est nécessaire que le patient ne sache pas ou ne croie pas que l’opération va être faite au moment, autrement la préoccupation que lui cause l’attente peut empêcher l’hypnotisation d’être assez complète pour qu’il devienne entièrement inaccessible à la douleur.

James Braid sur l’hypnose en chirurgie dentaire, 1883 [1]

La fin du XIXe siècle marqua, en France, un véritable « âge d’or de l’hypnose », celle-ci étant désormais reconnue par une grande partie du corps médical et devenue une discipline d’étude à part entière. Mais ce fut aussi la période d’un affrontement intellectuel entre deux grandes écoles et leurs conceptions différentes de l’hypnose : l’école de la Salpêtrière et l’école de Nancy. Les médecins de la Salpêtrière considéraient l’hypnose comme un sommeil nerveux pathologique et plutôt violent alors que ceux de Nancy défendaient l’idée que l’hypnose était un état pouvant être déclenché par la suggestion – et sans crise d’hystérie – chez n’importe quelle personne.

« Non ! le sommeil hypnotique n’est pas un sommeil pathologique ! Non ! l’état hypnotique n’est pas une névrose analogue à l’hystérie. Sans doute on peut créer chez les hypnotisés les manifestations de l’hystérie, on peut développer chez eux une vraie névrose hypnotique qui se répétera à chaque sommeil provoqué. Mais ces manifestations ne sont pas dues à l’hypnose, elles sont dues à la suggestion de l’opérateur ou quelquefois à l’auto-suggestion d’un sujet particulièrement impressionnable dont l’imagination frappée par l’idée émotive du magnétisme crée ces désordres fonctionnels, qu’une suggestion calmante pourra toujours réprimer. »

Hippolyte Bernheim de l’école de Nancy s’attaquant aux théories de la Salpêtrière, 1891 [2]

Malgré le travail remarquable d’Hippolyte Bernheim à Nancy et celui de Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière, l’émergence et le développement de la psychanalyse érigèrent Sigmund Freud en patricide de cette discipline. En effet, Freud, qui avait appris l’hypnose avec Charcot et Bernheim, délaissa peu à peu cette pratique avant de la condamner dans ses écrits.

La raison ? Freud avait une vision particulièrement autoritaire de l’hypnose et était un piètre hypnothérapeute : « J’ai très vite renoncé […] à l’hypnose, parce que je désespérais de rendre les effets de la suggestion assez efficaces et assez durables pour amener une guérison définitive. » reconnaît-il lui-même dans ses écrits [3]. Il contribua dès lors à la diffusion d’une image négative de l’hypnose dont les praticiens finirent par laisser peu à peu la place aux psychanalystes.

            C’est dans les années 50’, aux États-Unis, que l’hypnose regagna peu à peu ses lettres des noblesses, grâce à deux grands hypnothérapeutes : Dave Elman et Milton Erickson. Le premier était un homme de spectacle qui pratiqua longtemps l’hypnose en cabaret avant de s’intéresser aux vertus thérapeutiques de cette pratique. Le deuxième était un médecin de formation qui, atteint de la polio, fut longtemps paralysé lors de sa jeunesse : c’est de cette manière qu’il pratiqua – sans mettre de mot dessus – l’auto-hypnose afin de rééduquer son corps, avant d’étudier celle-ci en faculté de médecine et de devenir l’un des plus grands théoriciens contemporains sur le sujet.

Les théories de Milton Erickson sont aujourd’hui les plus populaires dans le monde francophone. Celles de Dave Elman, très peu connues en France, sont célèbres dans le monde anglo-saxon. Pour simplifier, il est souvent dit qu’Elman recherche, avec l’hypnose, à travailler sur les causes d’un problème pour mieux le régler (d’où le mot « hypnoanalyse » qu’il utilise lui-même pour désigner sa discipline), alors qu’Erickson cherche davantage à reparamétrer les dynamiques inconscientes, sur un plan plus symbolique, sans souci des causes premières ayant mis en place ces dynamiques.

Dans la réalité, ces deux hommes ont travaillé de manières très similaires, utilisant tels ou tels outils hypnotiques et façon de procéder en fonction de leurs patients, de leurs expérimentations et des périodes de leurs vies. Leur apport se situe principalement dans la théorisation d’un langage hypnotique et de ses outils (confusion, associations, etc.) qui étaient plutôt passé inaperçu jusque-là.

[1] James Braid, Neurypnologie : traité du sommeil nerveux ou hypnotisme, Paris, A. Delhaye & E. Lecrosnier éditeurs, 1883, pp. 215-216. [2] Dans sa préface de la nouvelle édition de De la suggestion et de ses applications à la thérapeutiques, Paris, Octave Douin éditeur, 1891, pp. XIII-XIV.
[3] Sigmund Freud, La technique psychanalytique, Paris, PUF, 1953, p. 15.

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