Le Trickster, le plus puissant des archétypes en hypnose archétypale ?

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MIRANDA

Mais quel est celui-ci? II n’a pas l’air particulièrement bénisseur! Si je ne craignais de blasphémer, je dirais qu’il tient du diable plutôt que du dieu.

ESHU

               riant

C’est que vous ne vous trompez pas, ma belle demoiselle.

Dieu pour les amis, diable pour les ennemis! Et de la rigo-lade pour toute la compagnie!

PROSPERO

[…]

Qu’est-ce que tu es venu faire ici ? Qui t’a invité ? Je n’aime pas le sans-gêne ! Même chez les dieux !

ESHU

Mais c’est que précisément, personne ne m’a invité… C’est pas gentil ça ! Personne n’a songé au pauvre Eshu ! Alors, le pauvre Eshu, il est venu quand même ! Hihihi ! Dites, on peut boire un coup ?

Sans attendre de réponse, il se verse à boire.

… Pas mauvaise, votre boisson !

PROSPERO

[…]

Va-t’en. Retire-toi ! On n’a que faire de tes grimaces et de tes pitreries dans cette noble assemblée.

Il fait une passe magique.

ESHU

On y va, patron, on y va… Mais pas sans avoir poussé la chansonnette en l’honneur de la mariée et de la noble compagnie, comme vous dites.

Eshu est un joueur de tours,

sacrifiez à Eshu vingt chiens

afin qu’il ne vous joue des tours de cochon.

Eshu joue un tour à la Reine,

Sa majesté perd la tête, la voilà qui se lève

et dans la rue sort nue

Eshu joue un tour à la jeune mariée,

et la voilà qui le jour du mariage

se trompe de lit et se retrouve

dans le lit d’un homme qui n’est pas le marié !

Eshu ! La pierre qu’il a lancée hier

c’est aujourd’hui qu’elle tue l’oiseau.

Du désordre il fait l’ordre, de l’ordre du désordre !

Ah, Eshu est un mauvais plaisant.

[…]

Ah, Eshu est un luron joyeux !

Aimé CÉSAIRE,Une tempête

d’après « la Tempête » de Shakespeare – « Adaptation pour un théâtre nègre », 1969.

————

Si vous avez déjà pratiqué l’hypnose archétypale, vous savez à quel point l’archétype du Trickster – le « joueur de tours » – est présent, puissant et, parfois, embarrassant pour l’hypnothérapeute. En effet, il ramène sa fraise alors que personne ne l’a invité – comme dans la pièce d’aimé Césaire –, prend l’apparence d’un autre archétype pour nous tromper, nous assure que nous pouvons lui faire confiance, mais, l’instant d’après, fait tout le contraire de ce qu’il s’était engagé à faire… Bref, il est compliqué de traiter avec lui !

Et ce n’est pas pour rien, car du désordre il fait ordre, et de l’ordre du désordre ! Le Trickster, étudié depuis longtemps par les historiens des religions et par les anthropologues, est connu pour être le « chaos nécessaire » : il vient tester les mortels et, souvent, leur montrer leurs limites, exprimant au passage – et entre les lignes – qu’ils ne sont pas grand-chose face aux dieux et, dans un registre plus psychologique, face à leur propre psyché. Mais le Trickster n’hésite pas non plus à s’attaquer directement à ses comparses divins, leur rappelant, à eux aussi, que l’ordre cosmique qu’ils représentent n’est pas immuable, et que le chaos, même si on en vient, par arrogance, à l’oublier, n’est jamais bien loin.

C’est la leçon d’Eshu – le dieu-trickster de la religion yorouba – dans la pièce d’Aimé Césaire, inspirée de nombreux mythes africains, qui résonne de façon fascinante avec un poème scandinave du Xe siècle , la Lokasenna, dans lequel Loki – le dieu-trickster nordique – débarque au banquet des dieux, et, pour se venger ne pas y avoir été invité, se moque de chaque dieu présent en pointant du doigt ses vices ou ses faiblesses. Car oui, même les dieux ont parfois besoin d’être ramené à un peu d’humilité : dans le cas contraire, ils finissent par se prendre trop au sérieux et à produire des théocraties tyranniques et des croisades sanglantes en leur nom. Ce n’est peut-être pas sans raison, finalement, que seules les religions qui ont banni le Trickster de leur culte – pour en faire le malin, le diable, Satan/Sheitan, bref l’ennemi – ont provoqué, à travers l’Histoire, des guerres de religions…

Si Loki connaît aussi bien les faiblesses et les vices des dieux, c’est parce que le Trickster sait tout, rien ne lui échappe. En effet, dans plusieurs religions, il est le messager des dieux et le dieu des carrefours ; car c’est le dieu qui est à la croisée des mondes, servant d’intermédiaire entre le monde des mortels et celui des immortels. Ainsi, les Yoroubas d’Afrique, les adeptes de la Santéria (à Cuba), du Candomblé (au Brésil) et du Vaudou (qu’il soit africain, tahitien, ou du Nouveau-Monde) commencent tous leurs rituels, sans exception, par une invocation et des offrandes au dieu-Trickster (Eshu / Elegua / Exu / Papa Legba). L’idée, derrière ce canon rituel, est la suivante : n’oubliez surtout pas le Trickster ! Sinon, fâché, il déformera volontairement votre demande auprès des dieux, et vous mettra dans l’embarras. De plus, puisqu’il est le messager des dieux, c’est lui qui transmet, aux mortels, les ashé (énergies) de ceux-ci : impossible donc, de recevoir les bénédictions des dieux sans passer par le Trickster !

La question que j’ai posée en guise de titre pour cet article n’est donc pas tant exagérée que cela… Le Trickster, le plus puissant des archétypes ? Je ne sais pas. Et j’aime à penser que tous les archétypes sont d’une égale importance au sein de notre cosmos intérieur. Mais ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’un archétype extrêmement puissant. C’est pour cette raison que les Scandinaves ont fait de Loki le frère-juré d’Odin, le roi des dieux. Et c’est ce qui explique, aussi, pourquoi les monothéistes en ont fait, dans leurs religions, « l’ennemi numéro un » ; et que les missionnaires se sont longtemps servi de lui pour prouver aux populations qu’ils cherchaient à convertir à leur foi qu’elles étaient dans l’erreur car elles vénéraient le malin.

En hypnose archétypale, il serait peut-être bon de nous inspirer des religions africaines (et afro-américaines, par extension), à savoir chercher à nous attirer, d’emblée, les faveurs du Trickster, avant-même peut-être d’entrer en contact avec les autres archétypes, et, en tout cas, pour éviter que celui-ci, fâché de ne pas être invité à l’assemblée des dieux intérieurs, ne s’y invite pour y jouer des tours indésirables et semer le chaos et la confusion. Il faudra surtout, et ce sera peut-être le chantier du siècle à venir, lui accorder, dans nos vies, l’importance qu’il mérite, afin que nos civilisations, nos dieux et nos egos, confrontés à nouveau aux énergies chaotiques mais nécessaires du Trickster, ne se prennent plus autant au sérieux, ne se croient plus autant invulnérables, et qu’ils regagnent une certaine humilité face au grand théâtre des forces cosmiques qu’est l’univers.

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