J’ai parlé, dans la dernière Voix d’Epione, du lieu-ressource, cette sécurisante zone-tampon servant de base d’opération pour, à partir d’elle, aller explorer son inconscient. Or, un archétype important de l’inconscient collectif est souvent associé à cet espace : le Gardien du Seuil.
Le Gardien du Seuil représente l’interface entre les parties conscientes et inconscientes de la Psyché. Comme le dieu Janus des Romains, il possède deux visages : l’un tourné vers le « Je », c’est-à-dire notre illusion consciente d’identité unifiée, et le « Tout » intérieur, à savoir la multiplicité archétypale qui régit notre vie inconsciente. Son rôle dans la Psyché est crucial : sans lui, le « Tout » se déverserait dans le domaine du « Je », tel un raz-de-marée qui engloutirait le « Je » et viendrait à le dissoudre. C’est ce que l’on observe dans les psychoses sévères, mais également dans certains phénomènes fantasmagoriques dûs à la consommation de drogues psychotropes puissantes, ou encore lors d’expériences de mort imminente, où les témoignages relatent cette sensation de « faire Un avec toute chose » et de ne plus avoir d’identité propre. Cet état de dissolution du « Je » est décrit comme étant agréable, et parfois même extatique ; parce qu’il possède une dimension épiphanique évidente et opère, chez le sujet, un changement radical dans sa perception de la réalité ; mais, que l’on ne se trompe pas : cet état n’est pas viable sur le long terme, comme nous le montre l’exemple des psychotiques soumis à cette dissolution du « Je » et pour qui il s’agit d’un sérieux handicap. En effet, le « Je » est nécessaire à une vie psychique harmonieuse : sans lui, pas de stabilité mentale, pas d’évolution possible dans la vie, pas de « sens » aux choix que nous faisons. Sans lui, les choses sont tout simplement chaotiques.
Voilà pourquoi le rôle du Gardien du Seuil est crucial. En outre, c’est aussi lui qui évalue si le « Je » est suffisamment solide pour pouvoir « passer le seuil » et partir explorer les mystères de l’inconscient. Il peut donc, dans certains cas de figure, donner l’impression d’être un obstacle au travail intérieur : il n’en est rien ; tout ce qu’il faut, c’est prouver à ce dernier que l’on possède en soi l’étoffe du héros à venir. Et si j’utilise le terme de héros, il s’agit là d’une référence avouée à Joseph Campbell, lequel a bien étudié l’archétype du Gardien du Seuil dans son essai, « Le Héros aux Mille et Un Visages » et montre qu’une fois celui-ci convaincu de la solidité du « Je », il devient l’un des plus puissants alliés de celui-ci dans le fameux « voyage du héros ». Quelques fois, d’ailleurs, ce n’est même pas à nous de lui prouver notre force intérieure, car c’est le Gardien du Seuil lui-même qui vient nous la révéler. Souvenez-vous à ce sujet de Gandalf, célèbre Gardien du Seuil dans le roman Le Hobbit : il vient offrir à Bilbo (incarnation du « Je ») la chance de vivre une aventure hors de la Comté, c’est-à-dire hors de la réalité ordinaire, consciente, de celui-ci. Bilbo accepte et découvre qu’il existe un monde immensément vaste au-delà de la Comté, où une longue quête l’y attend, et dans laquelle il va rencontrer de nombreux alliés et ennemis, et vivre un certain nombre d’épreuves qui vont lui permettre de découvrir les ressources qu’il possède en lui. Mais, à chaque fois que les épreuves deviennent trop grandes, Gandalf réapparaît, tel un deus ex machina, pour voler à son secours ; car tel est le rôle du Gardien du Seuil : protéger le « Je » des forces qui le dépassent.
En hypnose, le Gardien du Seuil peut prendre bien des apparences, et celle-ci peut évoluer, en fonction de votre bon vouloir ou de celui dudit archétype. Le miens est un grand Indien vêtu à la mode sikh (turban et longue tunique brodée) appelé Sartorial ; il est toujours très courtois et doux, pourtant je sais qu’il cache un sabre dans son placard et qu’il maîtrise parfaitement les arts du combat – vestiges d’un passé turbulent qu’il garde bien secret. Il possède un grand trousseau de clés à la ceinture : dans mon lieu-ressource, il n’y a qu’une seule porte qui donne sur l’inconscient, mais en fonction de la clé que Sartorial glisse dans la serrure, elle peut donner sur mille et un lieux différents. Le gardien du seuil d’une amie est un elfe de maison appelé Titoune qui garde le « livre des téléportations », un grand ouvrage relié de cuir aux pages vierges : il lui suffit d’écrire dedans le lieu de son inconscient qu’elle souhaite explorer et elle s’y retrouve instantanément téléportée. L’un de mes patients a comme Gardien du Seuil un Mandalorien appelé « Lui » (choix particulièrement intéressant dans le contexte présent, celui-ci faisant le lien entre le « Je » et le « Tout ») et son lieu-ressource est un vaisseau spatial dont celui-ci est le pilote, et qui peut l’emmener sur toutes les planètes de son choix. Une autre patiente l’imagine comme un pseudo-Chronos à la barbe blanche, avec un sablier à la main (car il peut lui permettre de voyager, aussi, à travers ses souvenirs) et une craie magique dans sa poche avec laquelle il peut dessiner des portes magiques donnant sur d’autres lieux ou d’autres temps.
Et, puisque le Gardien du Seuil agit en tant qu’intermédiaire entre le « Je » et le « Tout », entre le conscient et l’inconscient, il est très utile, dans la vie de tous les jours, de passer par lui pour transmettre des suggestions à son inconscient : puisqu’il connaît bien notre « Tout » intérieur, il saura – sans doute plus que la plupart des autres archétypes – à quelle partie transmettre judicieusement cette demande pour que celle-ci soit suivie de résultats effectifs. Testez et voyez par vous-même ! C’est aussi un allié précieux en cas de blocage, que ce soit en autohypnose ou en hypnose avec un patient, et il peut jouer le rôle de conciliateur en cas de conflit intérieur. Enfin, dans mon cas, mon gardien du Seuil m’aide à approfondir mon état d’hypnose en m’accueillant dans mon lieu-ressource en me servant à boire un thé magique dont la vertu est d’accroître la transe (le Gardien du Seuil étant l’archétype qui nous permet d’aller « plus loin » à l’intérieur de nous-même, cette fonction paraît assez logique). Pensez donc à votre Gardien du Seuil : c’est un archétype puissant et il serait dommage de se priver de ses précieuses ressources !